L'essor du numérique en Afrique, comme au Cameroun est évident. Cependant, bien que les projets y associés semblent "courir les rues", le pourcentage de projets viables est bien maigre, et plus encore. Certains d'entre eux qui semblent sortir la tête de l'eau ne manquent pas de "décevoir". Le cas récent d'Afrimarket, qui a été mis en liquidation, en est une parfaite illustration.
Sans vouloir me cantonner au cas du e-commerce, je souhaite aborder, dans cet article, la question, non de la pertinence du numérique pour l'Afrique, et notamment pour le Cameroun, mais celle de l'approche des acteurs du domaine, qui d'après moi, sont la principale raison des échecs cuisants qui sont observables, et même d'éventuelles catastrophes futures.
Bien que j'aie pour habitude de rédiger dans un langage des plus accessibles, cet article pourrait sembler légèrement technique (ou pas ^_^). Quel qu’en soit le cas, la section commentaires se veut utile pour les compléments d'information ou pour les questions auxquelles je me ferai un plaisir de répondre selon mes capacités ! ^_^
Je tiens à relever que ce papier est plus le fruit d'observations empiriques que la synthèse de résultats de recherches menées suivant un canevas purement scientifique. C'est le fruit des observations d'hommes de terrain à l'esprit ouvert (mais encore ^_^), mais aussi et surtout, un article de blog. Ce n'est donc pas parole d'évangile... quoique. Peut-être aurai-je soulevé plus de questions qu'apporté de réponses, mais si la section commentaires existe c'est aussi pour qu'on puisse essayer de trouver des réponses ensemble.
J'entends offrir ici des pistes de réflexion pour chaque lecteur.
Ce papier est coécrit avec Joël DJENGUE. Le "je" employé vaut donc pour "nous" ^_^
Allons-y !
Définissons les termes
Il me parait important que nous ayons la même compréhension de quelques termes que je vais utiliser dans mon article, pour que nous soyons au même pied d'égalité au moment d'échanger à ce propos :
1. Digital et/ou numérique ?
Le terme digital est l'adjectif attribué au substantif doigt (empreinte digitale). Ledit terme se rapporterait donc aux activités liées (ou faites par) les doigts, comme à tout attrait concernant ces derniers. Dans les années 2 000 il est progressivement remplacé par le terme "numérique", qui, lui, désigne en fait une information présentée sous la forme de nombres. Le fait que "digit" signifie "nombre" en anglais semble ajouter au "flou" entre l'utilisation des deux termes, qui fait aisément penser à la longue utilisation du terme "frigidaire" pour désigner un réfrigérateur, alors que le premier est tout simplement une marque.
Pour faire simple, en français, "numérique" est emprunt d’ambiguïté, car il s'applique tant aux technologies de l'information et de la communication qu'à la statistique et aux mathématiques. En anglais cependant, "digital" est spécifique au traitement de l'information, sans ambiguïté. Après évolution, les deux termes ont aujourd'hui acquis le sens de "tout équipement électronique utilisant la représentation binaire".
Cependant, il parait clair que le terme numérique renvoie plus à la technologie, et le terme digital à l'expérience qu'a l'utilisateur de la technologie numérique. Si un logiciel est numérique, une agence est plutôt digitale.
Le français étant ce qu'il est (élastique, comme on dit au Cameroun), le contexte reste guide en cas d’ambiguïté. Dans notre cas, les deux expressions seront uniquement liées au traitement de l'information via les outils technologiques.
2. Web et/ou internet ?
Je ne te ferai pas le cours sur la différence entre internet et web. Il faut simplement retenir ceci : internet est le réseau informatique mondial sur lequel s'appuient des services comme le web, le système qui nous permet d'accéder aux contenus rendus disponibles sur ledit réseau grâce à un navigateur (firefox, Opera, etc.), un peu comme les fenêtres vous permettent de voir le contenu de votre ordinateur. En gros, si les applications téléphoniques utilisent internet pour fonctionner, elles le font cependant hors du web. Le web est donc inclus dans le numérique.
Définitions faites, entrons dans le vif du sujet.
Le numérique en Afrique et au Cameroun : état des lieux
Dans cette section il ne faut pas t'attendre à de grosses statistiques. J'abonderai plus dans la perception de la chose. Chaque année, le taux de pénétration d'internet fait de grands bonds dans les pays africains, même si la moyenne reste toujours en dessous des chiffres mondiaux. On parle de 39.5% de moyenne pour l'Afrique, contre 56.1% pour la moyenne mondiale. Les pays du Maghreb mènent la danse avec la Tunisie (67%) et le Maroc (61%). Le Cameroun, lui, se situerait à 25%.
Au delà du taux de pénétration d'internet en Afrique et au Cameroun, les métiers du numérique et du web font de plus en plus parler d'eux, et les uns et les autres essayent tant bien que mal d'en saisir l'(es)opportunité(s). Des initiatives naissent sans cesse (1 000 codeurs, les Journées Nationales de l'Economie Numérique, le BlogCamp etc.) avec plus ou moins de résultats palpables, tant de la part d'individuels, d'associations, de groupes constitués en entreprises, que d'institutions gouvernementales. Ce que je peux aisément appeler "la startup mania" est également un élément à relever, tant le mouvement autour de l'anglicisme est fort, concomitamment au vent des incubateurs et des "concours" à propos desquels je t'épargnerai totalement ma pensée.
A côté de ça, on observe de "grosses machines" qui se sont essayées et qui ont (lamentablement ?) échoué, comme Afrimarket mentionné plus haut, ou encore CDiscount, et d'autres qui essayent encore, comme Jumia, toujours pas rentable après 5 ans d'activités au Cameroun. Je le fais sans leur jeter l'anathème, vu que de grosses boîtes comme WeWork aisément qualifiable de leader mondial des espaces de travail partagés, ne file pas non plus des jours heureux. Je ne parlerai pas des rêves qui semblent être restés des rêves après moult levées de fonds et des prises de parole dignes des plus beaux climax de blockbusters américains, levées suivies de disparitions de la scène publique aussi spectaculaires que les projets vantés, et non moins décevantes pour les observateurs qui ne manquent pas d'exprimer leur rage sur les réseaux sociaux, comme pour tous ceux qui sont aujourd'hui des ex-employés pétris de désillusions.
En observant l'environnement, on peut tirer une conclusion claire : les différents acteurs connaissent peu la portée potentielle des activités ou actions les uns des autres. "Vous nous mettez à l'école" disait un sexagénaire que je connais. Il m'est encore souvenir d'avoir rencontré ce jour où j'écris ces lignes, un haut responsable de l'état sortant d'une bibliothèque où il avait acheté des ouvrages portant sur le marketing à l'ère du numérique.
La volonté de ne pas "rater le coche" est réelle, et je dirai même palpable. Cependant, cette volonté a-t-elle pour conséquence des modifications suffisamment importantes dans notre environnement pour que celles-ci soient non seulement qualifiées de notables, mais aussi et surtout d'utiles ? Les métiers du numérique, au-delà de faire parler d'eux, sont-ils clairement connus, compris et organisés ? Les ministères et autres institutions de tutelle ont-ils les moyens de compréhension, d'encadrement et de promotion adéquate de ces derniers pour espérer des résultats optimaux ? Les pratiquants : que veulent-ils ?
Le fait de vouloir "s'arrimer à l'ère du numérique" ne nous pousserait-il pas à acheter les bœufs et la charrue avant d'avoir acquis le champ ?
Le digital en Afrique et au Cameroun : les raisons de l'échec ?
Parlons du Cameroun. Sans vouloir être défaitiste, Gifted Mum, Kiroo, le Cardiopad ou encore Njorku sont des raretés. Je ne les qualifierai pas de licornes, car le terme a une autre signification très claire dans la PropTech, mais c'est plus ce à quoi ces entreprises me font penser : des premiers sans seconds, des oasis dans un désert qui peine à se transformer en espace viable pour le numérique.
Pourquoi ?
1. Un problème d'acteurs ?
En observant les praticiens comme les autorités, on pourrait clairement parler de lacunes concernant le savoir "dur" des métiers du numérique, et les savoirs connexes qui pourraient contribuer à un développement et à des résultats optimaux. Près d'eux (en fait je pense qu'elle est assez loin) se situe la (prétendue) cible (permets que je sois un peu "dur" à ce niveau) qui semble grandement (et peut-être même totalement) étrangère à ce qui est proposé.
Concernant les acteurs, je questionne les éléments suivants : la compétence, les objectifs, la crédibilité, l'intégrité, et je remets en question les prises de parole.
La compétence ici traduit la connaissance profonde du métier et de ses contours, et la capacité à le pratiquer "au bout des doigts" (sans mauvais jeu de mots). L'illustration parfaite de mon propos réside en un article que j'ai écrit sur le Community Management, et les commentaires en dessous de ce dernier : les praticiens même savent très peu où la fonction commence et où elle s'arrête. Comment leur cible éventuelle, et les institutions de tutelle même pourraient le savoir ?
Les objectifs : dans un environnement où la plupart des métiers liés au numérique sont encore à découvrir par l'environnement, quels devraient être les objectifs des différentes parties prenantes ? Tirer le maximum de profit avant que "tout le monde" ne s'y mette, ou alors développer un écosystème propice au déploiement optimal desdits métiers ? On observe bien des praticiens qui veulent simplement jouer de l'asymétrie d'informations pour gagner le plus possible, bien souvent au détriment des demandeurs et pour le plus grand malheur de ceux ayant un minimum d'intégrité. C'est là que se posent les questions d'intégrité et de crédibilité.
L'intégrité et la crédibilité, ajoutés à la compétence et portés par des objectifs pertinents et clairs, font partie des conditions idoines pour le développement qualitatif d'un écosystème, outre les éléments indirectement liés aux praticiens, tels que l'environnement socio-économique et politico-légal. Il est indispensable que la base de l'écosystème du numérique (permets-moi l'expression) soit portée par des personnes dont l'intégrité peut difficilement être remise en question.
Outre la pugnacité et la persévérance dont ceux-ci doivent faire preuve, les décisions difficiles qu'ils ont à prendre au quotidien ne doivent pas seulement être prises dans une optique de gain, mais aussi et surtout dans une optique de préserver leur intégrité, car il en va également de l'intégrité et de la qualité de l'écosystème. Le développement de relations commerciales à long terme se base sur la création et l'entretien de relations de confiance entre les différentes parties prenantes. Ainsi, l'intégrité, qui avec la compétence ouvrent les portes de la crédibilité constitue une bonne base pour ce faire.
Cependant, on reproche très souvent (à raison ou à tort) aux praticiens compétents et intègres leur manque de prise de parole. Pour dire les choses simplement : ce sont ceux qui font un travail médiocre et dont l'intégrité et les motivations sont parfois grandement discutables qui font le plus de bruit.
Le manque de prise de parole : J'aurai aimé pouvoir administrer un questionnaire pour évaluer le degré de sensibilisation aux métiers du numérique à une tranche de la population suffisamment représentative pour pouvoir analyser les résultats et tirer des conclusions sur cette base. Me tenant simplement à mon observation de l'environnement camerounais, il s'avère que ceux qu'on peut considérer comme "les meilleurs" (outre les oasis que j'ai cités plus haut) ont souvent tendance à se lasser des évènements et autres situations qui leur donneraient la possibilité d'être mis en avant et préfèrent "continuer à travailler dans l'ombre" sans faire trop de bruit. Cela pose un problème, car la nature a horreur du vide.
Si vous laissez la place à ceux qui font plus de bruit bien que n'ayant pas démontré autant de qualités que vous, c'est la conception de votre métier telle qu'ils auront présentée qui sera adoptée comme modèle, comme standard. Ce dont on ne parle pas peut être considéré comme ne valant pas la peine d'être connu. Il est important que les praticiens "de qualité" prennent de plus en plus la parole afin que les réalités "vraies" de leurs métiers soient connues et que ces derniers soient compris de manière plus claire. Les institutions de tutelle devraient également commettre des actions de communication plus régulières et plus claires à l'attention des praticiens.
C'est seulement ainsi que la valeur du travail effectué par les uns et les autres pourra être appréhendée de manière plus juste, même si cela demandera forcément plus ou moins de temps.
Cependant, avec des praticiens dont le trait commun est la jeunesse, parfois accompagnée d'insouciance et de manque de réalisme, la tâche n'en devient-elle pas particulièrement ardue pour les institutions devant assurer la tutelle ?
2. Un problème systémique ?
L'un des challenges, lorsque des changements importants sont portés par des groupes sociaux autres que ceux qui gouvernent, c'est, pour le gouvernement, de réussir à les encadrer sans les brider, en leur permettant de manifester le meilleur de leur potentiel. Mais encore, lorsque les éléments qui créent ces changements sont peu connus de la classe gouvernante, le challenge est encore plus grand : il faut s'informer au maximum, détecter les acteurs majeurs, les têtes de file, et les avoir "à sa botte", car au final, ce sont des leaders d'opinion qui ont le potentiel de générer des mouvements sociaux relativement importants.
Je le redis encore : la volonté de "saisir le train du numérique" est palpable. Puis-je cependant me permettre de dire qu'elle n'est pas suivie d'actions suffisantes en terme de quantité et de vitesse, sachant qu'on parle ici de métiers dont l'une des caractéristiques principales est la "rapidité" liée aux évolutions technologiques continues ? Mais encore, les actions des gouvernements peuvent difficilement être qualifiées d'anodines. On peut aisément penser que les uns et les autres posent des actes uniquement dans une optique de récupération politique. Ceci instaure un cercle vicieux dont la conséquence directe est la méfiance des praticiens, lorsque ces derniers ont un peu de scrupules, ou s'essayent à une lecture différente de ce qui leur est "offert".
Les praticiens semblent ne pas savoir ce que le gouvernement peut faire pour eux. Ils ne savent pas quoi attendre de ce dernier en dehors d'éventuels financements. De leur côté, les institutions de tutelle semblent également ne pas savoir quoi apporter aux praticiens. Comment encadreraient-ils des activités dont ils ne maîtrisent visiblement pas la compétence motrice ?
Cependant, en s'approchant de bien des praticiens, on peut aisément conclure qu'ils se disent : "je fais ce que j'ai à faire, de la meilleure façon possible, sans trop tenir compte du système en place". La réalité c'est que l'innovation suit son cours et le suivra toujours. Il serait pertinent que les praticiens et les gouvernants aient des plateformes d'échange qui permettront aux uns et aux autres d'avoir le même niveau d'information tout en brisant les barrières d'un éventuel favoritisme.
Une certaine ambiguïté peut également ressortir lorsqu'on observe l'environnement camerounais, parlant de la tutelle des métiers du numérique. Les premières prises de parole autour de l'économie numérique et du e-commerce, sont faites par le MINPOSTEL (Ministère des Postes et des Télécommunications) qui, en 2016, a d'ailleurs élaboré un document intitulé Plan Stratégique Cameroun Numérique (téléchargeable au bas de l'article), alors qu'il existe le MINEPAT (Ministère de l'Economie de la Planification et de l'Aménagement du Territoire) et le MINCOMMERCE (Ministère du Commerce) ce dernier avait cependant initié un plan depuis quelques années pour cadrer le secteur du e-commerce, qui a abouti à l'élaboration d'une Stratégie nationale de Commerce Électronique pour le Cameroun ce mois de Septembre 2019 (également téléchargeable au bas de l'article).
Avec la présence d'un autre ministère, le MINRESI (Ministère de la Recherche Scientifique et de l'Innovation), le praticien peut être légèrement perdu quant à savoir à qui s'adresser, sans oublier le MINCOM (Ministère de la Communication), lorsqu'on parle des métiers tels que le copywriting, qui est une action de communication commerciale, compte tenu, notamment, du regard inquisiteur des professionnels de la communication (notamment les agences de communication) qui voient des marchés leur être retirés au profit de freelances. L'équation semble complexe à résoudre (et je pense être bien loin d'avoir un début de solution), mais si ma vision n'est pas suffisamment large pour me permettre de décrire les choses de manière plus claire, j'attends bien évidemment des compléments, et d'éventuelles propositions de "solution" en commentaires ^_^
Le système actuel semble pouvoir difficilement encadrer le numérique, et encore, dans un contexte relativement difficile à appréhender.
3. Un problème de contexte ?
Dans "contexte", je souhaite traiter les questions de timing, d'éducation de la cible, de disponibilités technologiques.
Le "mix" de ces différents éléments que je souhaite traiter peut se résumer en un seul point : l'adéquation offre-besoin. Un sexagénaire avec qui je me plais à échanger de manière régulière a pour habitude de me dire : "Vous êtes un peu trop dans le nuage... dans le cloud. Pendant que vous êtes là-bas en haut, nous nous sommes ici au sol, et c'est ici que vous allez venir nous trouver..." En gros, il dit : "redescendez un peu de vos nuages".
On peut avoir découvert la technologie qui fait le bonheur des sénégalais aujourd'hui, mais si le contexte ne s'y prête pas sur le plan local, je parle ici du Cameroun, la maîtrise de ladite technologie ne créera que frustration et désillusion pour le pratiquant, qui verra difficilement son investissement être couronné d'un retour intéressant. On peut bien vouloir créer le besoin, mais si l'offre présentée ne se traduit en aucune forme de valeur pour la cible il en résulte des pertes : de temps, d'énergie, d'argent... Les praticiens semblent trop souvent focalisés sur l'innovation et sur la valeur qu'elle pourrait apporter à la cible potentielle que sur la valeur que celle-ci lui accorde, compte tenu de ses circonstances et l'ère actuelle : environ 6 000 000 de camerounais connectés régulièrement (seulement !), connexion instable et débit moyen, niveau technologique moyen, connaissances techniques et facilité d'adoption de technologies nouvelles discutable..., et d'autres facteurs contextuels tels que le pouvoir d'achat, etc.
(Tu penses qu'on peut en dire plus à propos du contexte ? Merci de déposer tes ajouts en commentaire ^_^)
Même si la création de nouveaux espaces stratégiques peut se faire, l'innovation seule ne suffit pas pour y arriver.
Donner ses lettres de noblesse au numérique en Afrique : la notion d'innovation-valeur
L'innovation-valeur est une notion défendue par certains auteurs dont Chan KIM et Renée MAUBORGNE. L'innovation-valeur consiste, en contexte concurrentiel, à opérer un saut de valeur à la fois pour l'acheteur et pour l'entreprise. Ceci permet de mettre la concurrence hors jeu en créant un nouvel espace stratégique non disputé.
La notion d'innovation valeur accorde une importance équivalente à la valeur et à l'innovation :
- Privilégier la valeur revient à réaliser de petits gains progressifs. On obtient ainsi quelques améliorations, sans toutefois réussir à se détacher du lot.
- Privilégier l'innovation (ce qui est grandement observable au Cameroun), en donnant notamment la priorité aux percées technologiques revient bien souvent à aller trop loin par rapport aux demandes des clients potentiels et au prix qu'ils accepteraient de payer.
Sans trop aller en profondeur sur ce concept que je t'invite à explorer d'avantage sur internet, ce qu'il faut retenir c'est ceci : l'innovation-valeur ne se produit que lorsque l'entreprise met ses efforts d'innovation en phase avec ses impératifs en matière d'utilité, de prix et de coûts. Sans cela, les innovateurs technologiques, les défricheurs de marchés courent le risque de voir d'autres acteurs récolter le fruit de leur labeur.
C'est bien ce qu'on peut observer aujourd'hui au Cameroun, où bien des praticiens des métiers du numérique sont en position de "sacrifiés" au bénéfice des générations futures qui arriveront probablement dans un environnement plus propice à leur déploiement.
Le marché du numérique au Cameroun demande encore à être défriché. Cependant, pour profiter des fruits de ce défrichage, il est important de trouver l'équilibre entre ce qu'on propose, ce que ça nous apporte, ce que ça peut apporter au client potentiel, ce que le client potentiel pense que ça peut lui apporter, et ce que ce dernier est prêt à payer. Il ne s'agit pas ici de choisir entre réduire les coûts et augmenter la valeur de l'offre, mais de réfléchir à comment mener les deux batailles en même temps, et de front.
Pour l'acheteur, c'est l'utilité et le prix de l'offre qui déterminent la valeur. Pour l'entreprise, celle-ci est déterminée par le prix et la maîtrise des coûts. Pour réussir l'innovation valeur, il faut trouver l'équilibre entre utilité, prix et coût. Par exemple, une évolution technique qui accélère le fonctionnement interne d'une entreprise n'a de valeur véritable, aux yeux de l'acheteur, que si elle ajoute à la valeur de l'offre globale. Elle pourrait bien positionner l'entreprise dans son secteur s'agissant des pratiques ou des techniques et technologies utilisées, mais n'améliorera pas sa position aux yeux de l'acheteur potentiel si elle n'a pas d'impact positif clair sur l'offre qui lui est présentée.
Conclusion
Qu’ils soient actoriels, systémiques et/ou contextuels, les problèmes liés au numérique en Afrique et au Cameroun dépendent en partie de l’appropriation, du déploiement et de la prise en main du numérique dans notre environnement. La compétence et ses avatars sus-cités peuvent être remise en cause mais comment demander aux acteurs du domaine de prêcher par le bon exemple quand eux-mêmes ne savent pas très souvent pourquoi ils doivent bien faire. A cette absence d’objectifs clairs, atteignables et réalistes, s’ajoute l’intégrité des hommes et femmes qui constituent ce grand ensemble qu’on appelle trivialement « le digital ».
Force peut être de constater que les « digital natives » par exemple, font tout ce qui est en leur pouvoir pour garder, même inconsciemment, ce qu’ils savent pour eux, entre-eux, et souvent contre les « digital immigrants » qui s’efforcent d’emprunter tant bien que mal le train du numérique. Autre exemple. Si tu interroges les logiques qui sous-tendent actuellement le blogging au Cameroun, tu pourrais voir que des batailles (soit dit en passant inavouées) dans ce groupe social ont fait leur lit. A quels desseins ? Pour quels buts ? Je te laisse chercher les réponses. Ta lecture sociale (si tu la fais) de ce microcosme sera peut-être différente de la mienne. Autant de choses poussent à s’interroger sur l’intégrité d’un tel ou d’un autre, qui s’arrête où celle de l’autre commence. C’est un peu comme le concept de la liberté, galvaudé ci et là, pour peu que chacun y trouve son compte.
Malheureusement, ces acteurs du numérique, fiers de leurs acquis, portés par leurs ouailles sur les réseaux sociaux et toujours prêts à s’enfoncer dans les dédales du web, se distinguent par des prises de parole qui détonnent par leur vacuité et davantage par le désir de faire pour faire, répondre pour répondre et surtout entretenir une e-réputation d’emblée chancelante comme la bande passante dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne. On ne compte plus les scams répertoriés, connus mais qui écument toujours les media en représentant (soi-disant) fièrement (ou sans vergogne) les praticiens du numérique…
Dans cet état de choses, le système, qui devrait réunir les gouvernants et les gouvernés (les praticiens en l’occurrence) profiterait-il d’éventuelles batailles intestines pour ne pas impulser les choses ? Ce serait bien trop théâtral ! Les vraies difficultés résident dans l’application des textes de lois pourtant votés et adoubés par nos responsables. Le Plan Stratégique Cameroun Numérique 2020, est assez évocateur. De l’état des lieux aux enjeux et opportunités de l’économie numérique, en passant par les plans stratégiques et d’actions, pour terminer sur les dispositifs devant mettre en action toutes ces mesures, le Cameroun est assez fourni en textes.
Quid de la mise en action ? Le constat récent de l'échec du DSCE (Document de Stratégie pour la Croissance et l'Emploi, cadre de référence de l'action gouvernementale camerounaise élaboré en 2009 et qui devrait être remplacé par un autre document dès janvier 2020) prouve toute la difficulté à emmener ce pays vers ce qui est souhaité. Les conférences et compétitions pour start-ups innovantes suffiraient-elles pour parler d’économie numérique ? Le postulat qui tend à présenter l’Afrique comme une terre de possibilités notamment dans le numérique ne serait-il pas désuet ? A quand une Afrique d’actions, qui se bouge en créant véritablement de la valeur, loin des slogans vaseux et des effets d’annonce ?
Ceux-ci qui s’apparentent souvent à des moyens de sauver la face, des leviers pour contenter les praticiens du numérique, dans des contextes rudes, compliqués et d’après certains entrepreneurs, fortement à risque. La pression sociale est souvent un argument qui revient sans cesse. Des impôts pressants, les lourdeurs administratives, et des problèmes d’ordre prioritaire font souvent passer « les travailleurs du numérique » pour des parias. Cette phrase est subjective à dessein.
Permets-moi maintenant de poser cette question : Comment le numérique ou si tu veux, internet, présenté au début des années 2000 comme une panacée au Cameroun comme en Afrique, semble-il aussi difficile à utiliser (mettre en branle) pour créer de la valeur ? Pourquoi ces acteurs qui ne sont la plupart du temps que des amateurs qui ont développé des acquis et des compétences peinent t-ils à faire décoller leurs boites ? Loin de dédouaner les acteurs principaux, face à ce constat béant, que font les gouvernants (que peuvent-ils faire !) pour accompagner ces jeunes qui essayent de construire quelque chose à partir du continent et via le numérique ? N’est-il pas temps (si possible) de s’organiser (les pratiquants eux-mêmes), en attendant que les gouvernants puissent véritablement prendre les choses en main en faisant leur part ? Des interrogations simples alors que la préhension du numérique en Afrique est unique et somme toute, fonction des usages qui en sont faits.
J'attends tes commentaires au bas de l'article ! ^_^... et si tu as trouvé des éléments pertinents, merci de partager l'article ^_^
Pour aller plus loin...
- Patrice Flichy, Le Sacre de l'Amateur (ouvrage)
- W. Chan Kim et Renée Mauborgne, Stratégie Océan Bleu : Comment créer de nouveaux espaces stratégiques (ouvrage)
- World Wide Web (Wikipedia)
- Numérique (Wikipeda)
- Numérique ou digital ? Quelle distinction faire entre ces deux termes ?
- Pénétration internet : l'Afrique, toujours loin de la moyenne mondiale
- Le DSCE, document de référence du Cameroun pour l'émergence, sera remplacé le 1er Janvier 2020
- Cameroun : le gouvernement confesse l'inefficacité du DSCE et annonce un nouveau document
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Claude Marcelle Kuissu (vendredi, 01 novembre 2019 07:59)
cette assertion e me tient tout particulièrement à coeur
" Ce dont on ne parle pas peut être considéré comme ne valant pas la peine d'être connu. Il est important que les praticiens "de qualité" prennent de plus en plus la parole afin que les réalités "vraies" de leurs métiers soient connues et que ces derniers soient compris de manière plus claire. "
Comment amener ces praticiens de qualité à faire plus de prise de parole ? A partager davantage ce qu'ils ont appris , c'est un problème global en Afrique propre à de nombreux domaines ; les praticiens de qualité sont muets , si le feu des projecteurs les effraient écrire des ouvrages serait une alternative en or.
Comment expliquer qu'un secteur sensé être dynamique comme celui du marketing stagne et nous ressors du réchauffé à chaque campagne ? autant online , qu'offline.
Jean Pierre MBANGA (vendredi, 01 novembre 2019 08:10)
Article assez intéressant surtout sur la question du contexte et les institutions ressources vers lesquelles on devraient réellement se tourner.
On oublie souvent de parler du Ministère des Mines de l’industrie et du DÉVELOPPEMENT TECHNOLOGIQUES qui à mon avis serait également un organe qui devrait se muer pour déployer sa direction du développement technologique
Paul Emmanuel NDJENG (vendredi, 01 novembre 2019 08:10)
"Si le feu des projecteurs les effraie, écrire des ouvrages serait une alternative en or" voilà qui est bien dit je trouve, bien que la promotion desdits ouvrages reste un autre sujet qui nécessite également la mise sous le feu des projecteurs... Mais au moins avec leurs ouvrages, quelqu'un d'autre peut prendre la parole en les brandissant. ^_^
Merci de ton commentaire Claude Marcelle.
Paul Emmanuel NDJENG (vendredi, 01 novembre 2019 08:11)
@JeanPierre, merci de l'information.
C'est un élément à prendre en compte pour ajouter justement au flou qui se dégage lorsqu'on pense à la tutelle des métiers du numérique.
Merci de ton commentaire !
Bekoume A.Perez (vendredi, 01 novembre 2019 09:59)
Il est important que les praticiens "de qualité" prennent de plus en plus la parole afin que les réalités "vraies" de leurs métiers soient connues et que ces derniers soient compris de manière plus claire.
Paul Emmanuel NDJENG (vendredi, 01 novembre 2019 10:24)
Merci d'avoir pris le temps de me lire Perez. Merci pour ton commentaire.
Kevin Bissaya (samedi, 02 novembre 2019 10:39)
«Le marché du numérique au Cameroun demande encore à être défriché. Cependant, pour profiter des fruits de ce défrichage, il est important de trouver l'équilibre entre ce qu'on propose, ce que ça nous apporte, ce que ça peut apporter au client potentiel, ce que le client potentiel pense que ça peut lui apporter, et ce que ce dernier est prêt à payer. Il ne s'agit pas ici de choisir entre réduire les coûts et augmenter la valeur de l'offre, mais de réfléchir à comment mener les deux batailles en même temps, et de front.»
Je pense à mon sens que cet extrait résume clairement l'état des lieux du marché du numérique au Cameroun. Merci Paul Emmanuel pour cet article fort intéressant.
#Ensemble_Innovons_Dans__la_façon_de_faire_les_affaires_en_Afrique !
Paul Emmanuel NDJENG (dimanche, 03 novembre 2019 14:30)
Merci à toi d'avoir pris le temps de nous lire Kevin. Je transmets tes remerciements à Joël Djengue qui a coécrit cet article.
Au plaisir de te relire bientôt en commentaires.
Sylvie NGONO (samedi, 09 novembre 2019 06:52)
C'est en effet une problématique qui mérite questionnement. Article très conceptuel comme annoncé à l'entame.
Depuis le temps que je me pose la question j'en suis venue à m'en poser une autre?
Sommes - nous prêts ? L'ecosystème digital pour ma part reste embryonnaire.
Pas qu'il soit voué à l'echec, nous sommes à l'étape fondation. Une fondation qui prend du temps à prendre forme mais une fondation tout de même. Travaillons, sensibilisons pour à termes créer un ecosystème viable et adapté à nos réalités.
Le camerounais lambda est à milles lieux de tout cela...
dynasty fotso (dimanche, 10 novembre 2019 02:42)
c'est sans commentaire une vérité absolue. il faut que les vrais expert du domaine sorte de terre et remette les uns et les autres à leur place.
Paul Emmanuel NDJENG (lundi, 11 novembre 2019 03:41)
@Sylvie : En effet, nous sommes effectivement à une phase embryonnaire, et la mise en place de la fondation demande vraiment du travail et de la patience.
Sommes-nous patients ? Avons-nous la compétence pour le faire ? Où voulons-nous arriver ?
Voilà bien des questions auxquelles j'espère qu'on trouvera des réponses plus ou moins vite.
Paul Emmanuel NDJENG (lundi, 11 novembre 2019 03:44)
@Dynasty : Merci de ton commentaire. En effet, il faudrait que des experts, des personnes qui ont des compétences réelles sortent de terre. Le mutisme qui les caractérise et qui peut être une vertu quelque part, a également un revers qui empêche ou qui freine la mise en place de fondations réellement solides.
Travaillons en attendant et en espérant que les choses se passeront de la meilleure des manières.
ABBO SALY (mercredi, 29 janvier 2020 03:28)
Un article très intéressant, mais je me demande, qui sont les vrais praticiens, comment faire connaissance avec l'un d'entre eux car je serais intéressé de discuter de tous sa avec un vrai vrai.Si vous connaissez l'un d'entre eux passer mon mail public elmaroufa@gmail.com.